Le Tribunal fédéral admet le recours de l’entreprise Von Roll Infratec ce mardi. Depuis 2012, sa filiale jurassienne de Choindez convertissait les salaires de ses collaborateurs frontaliers en euros. Par trois voix contre deux, les magistrates ont estimé que le travailleur qui avait obtenu des indemnités pour la perte de salaire subie a commis un abus de droit. Il n'aurait pas dû attendre d'avoir quitté son entreprise plusieurs années plus tard pour faire valoir ces prétentions.
En revanche, le Tribunal fédéral ne s'est pas prononcé sur le fond. Payer ses salariés en euros en Suisse est-il légal ou non ? Les juges n'ont pas tranché cette question et ne se sont pas prononcés sur la validité de cette mesure par rapport à l'Accord sur la libre circulation des personnes. Von Roll Infratec avait contesté auprès du Tribunal fédéral un verdict du Tribunal cantonal jurassien, qui jugeait la conversion des salaires en euros discriminatoire et contraire à la loi sur la libre-circulation des personnes.
Épilogue d’une vieille affaire
L’affaire date de plusieurs années. La filiale de Choindez de la société zurichoise Von Roll Infratec a lancé la polémique en mai 2011, en communiquant au personnel son intention de payer en euros les employés frontaliers. Son but : réaliser des économies, à l’heure où la force du franc suisse pénalisait les entreprises exportatrices. Concrètement, Von Roll annonçait la conversion des salaires en euros au cours de 1.30. Or, le cours est actuellement à 1.12. Mathématiquement, un salaire de 4'000 francs suisses que l’employé change en euros équivaut à 3550 euros. Mais le change effectué en amont par l’entreprise au taux de 1.30 donne un salaire de 3'076 euros, soit près de 500 euros de moins. Une différence qui finit dans les caisses de l’entreprise.
Les employés avaient marqué leur désaccord en signant une pétition. Le projet avait alors été gelé un temps, avant de refaire surface quelques mois plus tard. Pour les 113 employés concernés, la mesure représentait une diminution de 10 à 20% du profit de change, mais ils ont préféré signer le nouveau contrat qui leur était proposé plutôt que de perdre leur place. La mesure devenait effective le 1er janvier 2012. Sollicité à l’époque lors d’une question orale au Parlement jurassien, le gouvernement avait regretté la situation, mais estimé que ce n’était pas le rôle de l’Etat d’intervenir. Les employés étaient invités à s’adresser à la justice.
Jugement de plusieurs instances
La justice a d’abord été saisie par le syndicat Unia. Le tribunal arbitral jurassien lui a donné raison en septembre 2012. Les juges estimaient alors que le paiement de salaires en euros était discriminatoire au sens de la loi sur la libre-circulation des personnes. Illégal aussi, selon eux, de déterminer une rémunération en fonction du niveau de vie des travailleurs. Le tribunal demandait à Von Roll de verser des arriérés de salaires aux employés. Mais l’entreprise avait immédiatement contesté la validité de ce jugement et annoncé qu’elle continuerait à verser les salaires en euros.
En janvier 2016, un employé frontalier avait saisi les prud’hommes et obtenu gain de cause. Décision contre laquelle Von Roll a recouru, auprès du Tribunal cantonal. En mars 2017, les juges cantonaux arrivaient au même verdict : le versement des salaires des frontaliers en euros est discriminatoire. Von Roll annonçait immédiatement un recours auprès du Tribunal fédéral et affirmait que cette décision allait entraîner une réflexion autour du plan d’investissement prévu dans le Jura. C’est la première fois que le Tribunal fédéral se prononçait sur la question. Sa décision fera donc jurisprudence. /lbe-jpi-gtr